Le GIE Cartes Bancaires CB fait peau neuve. Nouveau plan stratégique à quatre ans, nouveau logo CB aux couleurs bleu-blanc-rouge pour fêter l'an prochain les 40 ans de ce groupement interbancaire, qui a permis la généralisation du paiement par carte bancaire en France et du retrait d'espèces sur les guichets automatiques. Et, pour la première fois depuis sa création, CB va communiquer pour accroître la notoriété de sa marque : tout le monde connaît le logo CB, personne ne sait ce qu'il recouvre. L'enjeu est économique. Il faut convaincre les commerçants à utiliser CB plutôt que Visa ou Mastercard pour les paiements domestiques pour des raisons de coût et de sécurité. Il est également stratégique : depuis la guerre en Ukraine, les politiques ont compris l'importance de la souveraineté dans les paiements. Ce qui suppose de préserver les intérêts d'une filière industrielle française, celle qui a inventé la monétique moderne. C'est un vœu clairement exprimé par le président Emmanuel Macron, au même titre que la défense de la filière batteries, énergie renouvelable ou même intelligence artificielle.
LA TRIBUNE - Le GIE Cartes Bancaires CB a adopté l'an dernier à l'unanimité un plan de relance à l'horizon 2026 et dont la première manifestation publique est ce premier sommet de la Carte Bancaire CB. Pourquoi les banques françaises, actionnaires du GIE ont-elles décidé de donner des moyens à CB, notamment en termes de communication et de marketing, ce qui ne s'était jamais fait auparavant, et pourquoi maintenant ?
PHILIPPE LAULANIE. Ce plan fait suite à l'échec du volet Carte du projet paneuropéen EPI. Les banques européennes avaient finalement renoncé fin 2021 à créer un scheme (système de paiement sous licence, NDLR) Carte européen pour aller vers une solution de wallet (portefeuille numérique, NDLR) et de paiement instantané. Dans le projet initial, CB aurait logiquement dû se diluer dans EPI, comme les autres schemes domestiques européens. Il a donc fallu réagir et réarmer CB, qui concentre 20 % des paiements par carte en Europe et de l'ordre de 65% de la consommation courante intérieure. Il fallait faire en sorte que CB soit toujours aussi innovant et sécurisé, alors même que la carte va continuer d'être pendant des années le moyen de paiement privilégié des Français.
Est-ce également une réponse à la baisse de votre part de marché en France ?
JEAN-PAUL MAZOYER - Je préfère évoquer une tendance naturelle à l'érosion. Les causes en sont connues : l'émission de cartes qui ne sont pas co-brandées avec CB (mais uniquement Visa ou Mastercard, NDLR) notamment par les banques en ligne, l'explosion depuis le début de l'année de l'usage des wallets xPay, comme Apple Pay ou Samsung Pay, qui ne proposent pas l'option de paiement CB à l'exception de deux banques, Crédit Agricole et Société Générale, au profit de Visa ou Mastercard, et enfin, un déficit de notoriété de la marque CB.
L'ensemble des Français connaissent pourtant le logo CB mais ils ne savent pas à quoi il sert ! Et quand le consommateur est confronté à un choix de mode de paiement sur Internet, il sélectionne plus volontiers la marque Visa ou Mastercard qui figurent parmi les dix marques mondiales les plus connues ! Cette érosion a un impact, y compris sur les commissions payées par le commerçant. Pour l'heure, un paiement CB est jusqu'à dix fois moins cher pour un commerçant, avec trois à six fois moins de fraude ! Et il est donc capital pour nous de maintenir et de développer nos flux pour rester compétitif. C'est aussi un enjeu de souveraineté : quand un consommateur paye avec une carte CB, c'est CB qui opère ces paiements, qui les sécurise et qui conserve les données en France.
P.L. Si le commerçant voit son mix de paiement se transformer trop radicalement, il risque de devoir répercuter un coût additionnel sur le citoyen. Il est temps de réintermédier notre savoir-faire, d'expliquer ce que signifie le logo CB, y compris dans les assurances, qui sont finalement proposées par les banques pour leurs clients. Il y a toute une pédagogie à faire sur la filière française des paiements.
Vous soulignez l'importance de la souveraineté des paiements. Le président Emmanuel Macron a lui-même abordé cette préoccupation. Est-il vraiment possible aujourd'hui de réactiver une industrie française des paiements face aux GAFA ou aux nouveaux acteurs mondialisés des paiements ?
P.L. La carte bancaire est une histoire française. Une innovation industrielle, avec la carte à puce, le code PIN, qui a permis il y a 40 ans le déploiement des guichets automatiques et du réseau interopérable des terminaux de paiement chez les commerçants pour toutes les cartes. Nous avons couvert une fonctionnalité de distribution d'argent et d'acceptation du paiement sur l'ensemble du territoire grâce à l'interbancarité. Tout ceci a été réalisé avec des industriels français devenus des champions européens, voire mondiaux. Lors du lancement de l'euro, on aurait sans doute dû lancer également un réseau européen de la carte.
Des choix différents ont été faits, comme la vente de Visa Europe à Visa par les banques européennes et l'abandon de la carte EPI. Nous devons répartir nos bases, qui sont des bases solides, avec un écosystème vivace, dans un périmètre où la guerre vient de s'inviter en Europe, dans un monde où les transactions redeviennent un enjeu clé. Nous avons la chance d'avoir en France une vraie filière des paiements qui résonne par rapport au discours du président Macron sur la nécessité de développer des filières stratégiques, comme les batteries, les énergies renouvelables ou l'intelligence artificielle. La filière des paiements a la capacité d'innover, d'être à la pointe des technologies, de créer des emplois et de créer surtout de la sécurité pour nos concitoyens. Cela n'est pas neutre dans un monde de plus en plus instable.
JP.M : Le plus important est d'avoir des normes communes. C'est ce à quoi s'attache CB, de créer un ensemble de référentiels que peuvent partager tous les acteurs de la filière. C'est véritablement de la responsabilité de CB. D'autant que les industriels ont été inquiets de l'arrêt du projet carte d'EPI, tout comme d'ailleurs les commerçants. Il faut donc prendre le relais, pousser notre écosystème, multiplier les messages, y compris vers les institutionnels et les politiques.
Quelles sont les priorités de CB ?
P.L. Il s'agit de « rattraper » ce qui avait été prévu dans EPI. Le premier volet, c'est nous remettre à jour sur le numérique. Il faut notamment que l'ensemble des banques françaises acceptent au plus vite CB dans le paiement mobile. Ce sera fait dans les 18 prochains mois, nous avons déjà les « road maps » (schémas techniques, NDLR). Ensuite, nous allons industrialiser la plateforme souveraine de « tokenisation » bleu-blanc-rouge qui permettra d'émettre des tokens, une sorte d'avatar de la carte. L'idée est bien de ne pas dépendre de tokens extraterritoriaux. Cette plateforme sera opérationnelle dans les deux ans à venir. Enfin, toutes les banques françaises vont passer dans les deux ans à la puce sous le standard européen CPACE. Cela nous permettra d'être interopérables avec d'autres schemes domestiques européens et donc de réfléchir à des partenariats. Nous ne sommes pas dans le même schéma qu'EPI mais plutôt dans une approche bilatérale d'interconnexion avec un pays voisin. Cela permettra à un citoyen allemand par exemple de payer en France avec sa carte sans passer par Visa ou Mastercard. L'intérêt est donc de payer avec une solution moins chère et plus sécurisée.
JP.M. Notre priorité est également d'accroître notre notoriété, au travers de campagne de publicité, de ce sommet, du manifeste que nous avons publié cet été et aussi d'opérations de sponsoring, notamment dans le cyclisme. Nous voulons expliquer l'utilité de CB. L'année prochaine, nous fêterons les 40 ans de CB avec un nouveau logo bleu blanc rouge en place des couleurs bleue et verte (symbole des anciennes cartes bleues et Eurocard, NDLR). Il y a également un volet commercial car CB a un mandat pour aller à la rencontre des nouveaux acteurs, ce qui était exclusivement du ressort des banques auparavant.
Ce nouveau plan de développement de la carte CB n'arrive-il pas trop tard alors que les usages de paiement évoluent très vite ?
JP.M. En France, la moitié des paiements sont en cash et nous avons encore un milliard de chèques par an. Il y a une tendance à la numérisation des paiements qui est très forte, mais pour l'instant, ce mouvement se fait au profit de la carte en France, ce qui n'est pas forcément le cas dans d'autres pays qui peuvent privilégier par exemple le virement ou le code QR. La carte marche car elle est profondément ancrée dans les usages et le sans contact a participé à la généralisation du paiement par carte. Il ne faut pas oublier que le paiement mobile reste aussi un paiement par carte, seule l'interface change. Nous sommes intimement convaincus que la carte aura toujours largement sa place au moins pour la décennie qui vient. C'est au contraire le moment de continuer à renforcer et à innover le paiement par carte, qui est encore une fois un atout que nous avons en France.
Quel est le plus grand danger qui menace à terme la carte, le quantique ou l'euro numérique ?
P.L. Le quantique et l'IA générative vont amener des ruptures majeures sur la cryptographie. Nous sommes au cœur du sujet à horizon dix ou quinze ans et nous travaillons déjà largement sur ces questions pour préparer une nouvelle génération de sécurisation des flux. L'un des défis sera évidemment le scoring. Nous prenons les premiers contacts. Nous avons en France toute la matière intellectuelle et industrielle nécessaire sur ces nouvelles technologies.
JP.M. Il va falloir chercher des vecteurs pour diffuser l'euro numérique. Ce vecteur pourra être le wallet wero d'EPI, qui permettra de payer à la fois en euro commercial et en euro numérique. Mais au début, les volumes du wallet ne seront sans doute pas suffisants pour permettre à l'euro numérique de monter en charge.
Des états-majors profondément renouvelés
C'est une valse de dirigeants dans le petit monde de la monétique bancaire. Venue du groupe italien Intesa Sanpaolo, Adriana Saitta vient d'être nommée directrice des paiements de La Banque Postale. Elle remplace une figure de poids de la monétique de la banque, Régis Folbaum, parti prendre la direction générale de STET, l'un des principaux opérateurs européens de compensation des paiements SEPA. Le départ, en juin dernier, de Philippe Marquetty, le patron des paiements de la Société Générale depuis 2018, pour rejoindre la direction générale d'un concurrent, Crédit Agricole Payment Services (CAPS) a fait couler beaucoup d'encre. Il n'est pas courant qu'un haut dirigeant d'une banque commerciale prenne des fonctions stratégiques dans une banque mutualiste, leader sur le retail en France. En début d'année, c'est la profonde réorganisation du paiement au sein de BPCE qui avait suscité beaucoup de commentaires et interrogations.
Autrefois logées au sein de Natixis (lointain héritage de la Caisse centrale des banques populaires), les activités de paiement, rapatriées au sein de BPCE, ont été scindées en deux, sous la responsablité d'Yves Tyrode, directeur général Digital & Payments, avec d'un côté, Pierre-Antoine Vacheron, directeur général Payments, en charge de l'offre et des fintechs du groupe (Swile, X Pollens, Payplug...) et de l'autre, Frédéric Burtz, directeur général Payments Services, en charge des infrastructures et de la technologie, nommé au printemps dernier. Ce dernier succède à Fabrice Deniele nommé directeur des partenariats, notamment auprès de Visa, sous la responsabilité de Pierre-Antoine Vacheron. Selon plusieurs sources externes à la banque, Fabrice Deniele aurait pâti de sa proximité avec Visa - BPCE est le premier émetteur français de cartes Visa- et de l'opération d'émission de cartes Visa Only pour les JO de Paris. Une initiative commerciale peu appréciée par les banques concurrentes et certaines grandes enseignes.
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Author: Andrew Garcia
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